« Les nouvelles technologies occupent une place importante dans la société et l’accès à des appareils mobiles est en augmentation dans les différents groupes de la population. Les enfants et les jeunes n’y font pas exception. Ils sont de plus en plus connectés, et les plateformes d’accès à Internet qui leur permettent de visualiser, générer et partager du contenu en ligne ne cessent de se multiplier.
L’utilisation croissante des médias sociaux, la variété et la popularité des jeux vidéo disponibles et, plus globalement, l’accès continu à des contenus en ligne par le biais d’appareils mobiles personnels suscitent des préoccupations quant aux risques possibles pour la santé et le développement des jeunes. Au-delà des effets de plus en plus documentés sur la santé physique, les interactions que permettent les médias sociaux et les plateformes de jeux vidéo soulèvent des questions en ce qui a trait aux risques pour le bien-être et la sécurité des jeunes qui s’adonnent à des activités en ligne. En plus de susciter des préoccupations liées au bien-être des jeunes, la nature des contenus auxquels ils sont exposés à travers les médias sociaux ou les jeux vidéo soulève des préoccupations quant aux risques d’agressions commises et subies en ligne. Par ailleurs, certaines caractéristiques du cyberespace, comme l’anonymat et la distance physique entre l’agresseur et la victime, semblent augmenter le caractère invasif de la cybervictimisation et multiplier les conséquences néfastes qui y sont associées.
Cadre d’analyse et objectifs
Que les contenus soient accessibles via un appareil mobile, un ordinateur ou une console de jeu, cette synthèse porte sur les liens entre les médias sociaux, les jeux vidéo et les comportements violents. Seule la violence interpersonnelle est considérée, et ce, dans ses différentes formes (physique, verbale, psychologique, sexuelle). La population à l’étude est constituée de personnes âgées de moins de 18 ans.
Le but de cette synthèse des connaissances est de répondre aux questions suivantes :
* Quel lien peut-on établir entre l’exposition des jeunes à des jeux vidéo à contenu violent et les comportements violents?
* Quel lien peut-on établir entre l’utilisation des médias sociaux chez les jeunes et les comportements violents perpétrés? Quel lien peut-on établir entre l’utilisation des médias sociaux chez les jeunes et les comportements violents subis?
* Quelle est l’efficacité des interventions qui comportent une composante « médias sociaux » pour prévenir les comportements violents chez les jeunes?
* Quelles sont les prises de position ou les recommandations d’organismes de santé (santé publique) en matière d’usage de jeux vidéo à contenu violent ou de médias sociaux chez les jeunes?
Méthodologie
Parmi les études repérées à partir de la recherche documentaire, pour chacun des volets, seulement celles qui ont été jugées pertinentes, selon certains critères d’admissibilité, ont fait l’objet d’une analyse approfondie. Ainsi, 20 études ont été analysées pour le volet sur les jeux vidéo à contenu violent, 18 pour le volet sur les médias sociaux et 6 ont fait l’objet d’analyse pour le volet sur l’intervention avec une composante « médias sociaux » pour prévenir la violence.
Les études retenues ont été regroupées selon les questions de recherche et les volets associés. Une grille d’extraction a permis de colliger les données de chaque étude, pour ensuite catégoriser les résultats selon le type de devis, par type et par nature de variables dépendantes (p. ex. gestes commis ou subis) et indépendantes (p. ex. jeux préférés selon leur cotation, activités réalisées via les médias sociaux, dont la communication, le partage d’information personnelle ou le sextage), par type de population, par pays, afin de dégager les principaux constats et de les interpréter adéquatement. Un comité consultatif a accompagné la démarche.
Résultats
Lien entre l’exposition des jeunes à des jeux vidéo à contenu violent et les comportements violents.
Malgré les limites des différentes études et la faiblesse de certaines associations, les études transversales pointent dans le sens d’une association entre le fait de jouer à des jeux vidéo présentant du contenu violent et la violence physique chez les jeunes. Même si quelques études longitudinales vont dans ce sens, cette association ressort davantage dans les études transversales. Les résultats suggèrent, par ailleurs, que d’autres facteurs que l’exposition à des jeux vidéo à contenu violent semblent aussi contribuer à la manifestation de la violence physique chez les jeunes. Étant donné la divergence des résultats observés dans les études et le nombre limité d’études menées auprès d’un échantillon plus jeune, il n’est pas possible de tirer des conclusions en fonction du groupe d’âge. En ce qui concerne les liens en fonction du genre, les quelques études ayant réalisé des analyses séparées pointent dans le sens d’une absence d’association chez les garçons, tandis que chez les filles les résultats sont plus mitigés et semblent varier selon l’âge et le type de comportement violent considéré (p. ex. : avoir frappé quelqu’un ou avoir participé à une bagarre).
Les résultats des études ayant exploré l’association entre l’exposition à des jeux vidéo considérés violents et les comportements délinquants sont quant à eux mitigés, et une seule étude a réalisé des analyses séparées selon le genre. Finalement, bien que certaines études aient considéré des comportements violents autres que l’agression physique ou les comportements délinquants tels que le port d’arme et l’intimidation, il est impossible d’en tirer des conclusions en raison de leur nombre limité.
Lien entre l’utilisation des médias sociaux chez les jeunes et les comportements violents perpétrés et subis.
Malgré les limites méthodologiques des différentes études, les résultats semblent indiquer que l’utilisation des médias sociaux s’accompagne d’un plus grand nombre de comportements violents perpétrés en ligne. Toutefois, cette association est plutôt de faible magnitude. Pour ce qui est des associations dans les études longitudinales, il n’est pas possible de tirer de conclusions claires en raison du nombre limité d’études ayant utilisé ce type de devis.
Par ailleurs, les résultats suggèrent que les jeunes qui utilisent davantage les médias sociaux subissent plus de cybervictimisation, comparativement aux jeunes qui en font une moindre utilisation. Il faut toutefois noter que la magnitude des associations rapportées varie de très faible à forte, ce qui pourrait en partie s’expliquer par l’hétérogénéité de la mesure de l’utilisation des médias sociaux dans les études. Une seule étude a examiné le lien longitudinal entre les variables d’intérêt.
Étant donné que la grande majorité des études ne se sont intéressées qu’à la cybervictimisation, il est difficile de tirer des conclusions au regard d’autres types de comportements violents subis étudiés (p. ex. victimisation hors ligne, sollicitation sexuelle non désirée sur Internet). Enfin, il n’est pas possible de conclure à une association entre l’utilisation des médias sociaux et la violence dans les relations amoureuses, en raison du nombre très limité d’études et des caractéristiques de celles-ci.
Efficacité des interventions qui comportent une composante « médias sociaux » pour prévenir les comportements violents chez les jeunes.
Peu d’études recensées se sont penchées sur l’évaluation d’interventions ayant recours aux médias sociaux pour prévenir la violence chez les enfants et les jeunes. Même si les jeunes sont souvent inclus dans le développement de la campagne pour que celle-ci tienne compte de leurs préférences, ainsi que pour favoriser leur engagement et leur adhésion au programme, l’efficacité de ces interventions reste encore peu connue.
Prises de position et recommandations d’organismes de santé en matière d’usage de jeux vidéo au contenu violent ou de médias sociaux chez les jeunes.
Dans l’ensemble, les balises énoncées dans les recommandations concernent le temps d’écran (quantité) et dans une moindre mesure la nature des contenus (p. ex. privilégier un contenu éducatif, éviter les contenus violents). L’importance de superviser l’usage d’Internet chez les enfants et les jeunes, d’en discuter avec eux, de les sensibiliser aux risques et de les accompagner pour qu’ils développent leur sens critique face aux contenus auxquels ils ont accès est aussi soulignée. À ce titre, les recommandations précisent le rôle attendu des parents, mais aussi des cliniciens pour les informer et les sensibiliser sur l’encadrement des écrans et de l’Internet et les référer aux bonnes ressources.
Conclusion
La grande majorité des enfants et des jeunes jouent à des jeux vidéo et utilisent les plateformes de médias sociaux. La possibilité que les jeunes soient exposés à la violence dans ces médias soulève des préoccupations chez les parents, les intervenants et les instances de santé.
Les résultats de la présente synthèse montrent que les jeunes qui utilisent davantage les médias sociaux sont plus susceptibles de subir des agressions en ligne, ainsi que de commettre des cyberagressions. Les connaissances scientifiques sont moins claires lorsqu’il s’agit des jeux vidéo à contenu violent. Certaines études rapportent un lien entre l’exposition à ce type de jeux vidéo et la violence chez les jeunes, tandis que d’autres, dont celles avec des devis longitudinaux, arrivent à des résultats plus mitigés. À partir de l’analyse des différentes études, il semble cependant pertinent de se questionner sur la violence présentée dans les jeux vidéo.
Ces différents constats appellent donc à une vigilance quant à l’utilisation des plateformes numériques et à l’exposition à la violence dans les médias, mais rappellent aussi que la violence chez les enfants et les jeunes est influencée par de multiples facteurs, dont les caractéristiques des jeunes et les milieux dans lesquels ils grandissent. Les stratégies visant à prévenir la violence chez les jeunes devraient donc cibler différents facteurs. Même si l’on en connaît encore peu sur l’efficacité du recours aux médias sociaux comme stratégie de prévention de la violence chez les jeunes, certains résultats prometteurs invitent à évaluer les initiatives de prévention, afin de tirer le maximum de potentiel de ces plateformes. »